Les écrivains voyageurs

Nina Yargekov en Transylvanie...

Illustration de Nina Yargekov en Transylvanie...

...nous raconte les coulisses de l'écriture de son roman Double nationalité, publié le 8 septembre 2016 aux éditions P.O.L.
 

Lorsque j’ai annoncé à mes proches que j’allais effectuer une mission Stendhal afin de préparer un roman consacré à l’identité nationale, tous ont imaginé que je partais en Hongrie. Sachant que je suis franco-hongroise, cela paraissait logique. Sauf que non. Moi, je voulais aller en Roumanie. Plus exactement : à Cluj, en Transylvanie. J’aimerais dire ici combien ce séjour a été magnifique : j’ai mangé des gâteaux délicieux, animé un atelier d’écriture à l’université, rencontré des personnes formidables, reçu un bouquet de fleurs des mains d’une petite fille de l’école bilingue où j’étais invitée pour parler de mon travail – j’avais la sensation d’être une championne de patinage artistique, je ne méritais pas ce bouquet, je n’avais gagné aucune médaille olympique.

Mais donc, pourquoi la Transylvanie ? Parce que c’est une région historiquement multiculturelle, peuplée de Roumains, de Hongrois et de Saxons, ces deux derniers groupes étant ce qu’on nomme des « minorités nationales ». Une fois sur place, j’ai lâchement ignoré ces pauvres Saxons, j’avais déjà assez à faire avec les Hongrois : je les ai assaillis de questions dans le cadre d’entretiens plus ou moins formels, la langue roumaine dans votre bouche, quel goût a-t-elle, subissez-vous d’atroces persécutions… ou pas tant que cela, donnez-vous aux rues leur nom roumain ou hongrois, et Nadia Comăneci qui était roumaine, l’aimiez-vous un peu beaucoup passionnément ? En vrai, je me suis montrée un brin plus diplomate, du moins je l’espère. En parallèle, je me suis beaucoup promenée, examinant cimetières, musées, statues, églises et autres « lieux de mémoire », cela dans l’espoir de saisir comment les identités nationales hongroises et roumaines étaient mises en scène dans l’espace public.

 

« C’était le bruit des stéréotypes, de mes stéréotypes sur la Transylvanie et les Transylvains, qui s’effondraient les uns après les autres. »

 

De l’extérieur, on aurait dit une touriste. Mais dans le secret de ma chambre d’hôtel, je consignais scrupuleusement mes réactions. Comment se comportait mon cœur hongrois face à l’autocollant « Ici on parle le hongrois » apposé sur la vitrine de certaines boutiques de Cluj ? Il sautillait vigoureusement dans ma poitrine, tandis que je notais aussi d’étranges bruits en provenance de ma boîte crânienne. C’était le bruit des stéréotypes, de mes stéréotypes sur la Transylvanie et les Transylvains, qui s’effondraient les uns après les autres. Peut-être pas tous, je n’en sais rien, toutefois plusieurs d’entre eux, assurément, n’ont pas survécu à ce voyage. Du coup, j’ai pris conscience de leur existence ; un stéréotype en effet est une créature vicieuse, tant qu’il n’est pas contredit par le réel, on ignore généralement qu’il oriente notre pensée.   

Ce séjour a nourri le roman à bien des égards. Il est des situations vécues qui ont inspiré des scènes imaginées par la suite. D’autres, et c’est peut-être le plus important, ont enrichi, affiné ma réflexion sur les notions de citoyenneté, de nationalité, d’identité. Surtout, j’ai fini par comprendre la raison de mon attirance, de ma fascination, même, à l’endroit des Hongrois de Roumanie, avec lesquels je n’ai aucun lien familial ou personnel. Cette raison, mon héroïne, une jeune femme amnésique qui a oublié si elle était française ou hongroise, la découvre vers la fin de ses aventures, pages 596-597 du livre. Pour ce faire, elle n’a pas eu besoin de se rendre en Transylvanie. Moi, si. 

 

 

 

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