Les écrivains voyageurs

Jennifer Richard en Allemagne...

Illustration de Jennifer Richard en Allemagne...

« Eh bien, tu vois ? me dit mon mari. On dirait que tu n’as pas été si nulle que ça, à l’entretien. »

Je relis la lettre de l’Institut français m’informant que ma candidature a été retenue. Oui, c’est bien cela. Ils soutiennent mon projet de roman sur l’industrie de guerre.

Le sentiment d’avoir manqué de panache, lors de mon entretien de sélection, tenait à ce que j’avais choisi de taire, une intuition qu’il me restait à vérifier. J’avais désormais tout loisir de le faire.

Nach Berlin !

« Berlin est une métropole lente où l’on doit prendre le temps de jouir de la vie. »

Si quelques ouvrages ont narré la vie et les méfaits de Basil Zaharoff, marchand d’armes, milliardaire aux nationalités multiples et philanthrope malin, il restait à éclaircir un point : ses relations avec l’Allemagne. Décrit comme un homme cynique et mégalomane, il se voyait toutefois attribuer une éthique. On affirmait en effet qu’il n’avait jamais franchi la ligne rouge : la collaboration avec les nazis. Au vu de ses actions, je doutais fort de cette version. Une fois à Berlin, je creusai donc la question et décrouvris dans les archives nationales allemandes une note fort intéressante : elle indiquait qu’il avait été, en 1932, l’un des plus importants soutiens financiers du parti nazi.

            Je parcourus la capitale allemande avec les yeux de Zaharoff. Je découvris les lieux qu’il avait sans doute visités : le stade olympique où se sont déroulés les jeux de 1936, la plage de Nikolassee, la grande brasserie Zollpackhof et son Biergarten, l’immense Tiergarten, les bords de Spree. J’adoptai le rythme que je prêtais à mon personnage, qui est également celui auquel invite la ville. Berlin est une métropole lente où l’on doit prendre le temps de jouir de la vie. On sirote paisiblement son café sur un banc, dans l’un des nombreux parcs, tout en nourrissant les oiseaux. On s’arrête pour boire une bière, déguster une Currywurst à l’angle d’une rue. En allemand, un mot magnifique et difficile à traduire évoque ce plaisir : der Genuss.

            Au fil de ces semaines d’immersion, il me devenait plus facile de lire les articles de presse en allemand, en particulier la description de certaines conférences données par le parti nazi dans l’intention de séduire les grands industriels.

Résider à Berlin en 2019 a été d’autant plus intéressant pour moi que l’année a été marquée par le centenaire de la République de Weimar. À l’occasion de ce Jubiläum, de nombreuses manifestations culturelles ont été mises en place dans la ville, telles l’exposition organisée dans les bâtiments de l’école où avait enseigné l’auteur Sebastian Haffner, ou la grande exposition Demokratie 2019, au Deutsches Historisches Museum.

Partie pour trois mois, je me suis si bien acclimatée à la vie berlinoise que le retour à Paris fut un véritable arrachement.

« Et si on revenait ? me proposa un jour mon mari qui m’avait rejointe.

- Bien sûr qu’on reviendra.

- Non, je veux dire… pour de bon.

- Wirklich ? »

Nous sommes rentrés à Paris, allégés par la perspective d’une nouvelle aventure, avons réglé quelques affaires et nous sommes revenus à Berlin. Avec le chat, cette fois.

Voilà à quoi peut mener une candidature à la mission Hors les murs - Stendhal.

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