Les écrivains voyageurs

Emmelene Landon en Tasmanie...

Illustration de Emmelene Landon en Tasmanie...

...nous raconte les coulisses de l'écriture de son roman La Baie de la rencontre publié le 16 mars 2017 aux éditions Gallimard.
 

Grâce à la Mission Stendhal, la succession de mes allers et retours entre la France et l’Australie a donné forme à une histoire qui s’étire sur 500 millions d’années, bien au-delà de la conscience humaine. Le fait de prendre autant de recul m’est apparu comme une nécessité. Les voyages nous détachent d’un sentiment d’appartenance, d’une pellicule protectrice. Pour cette raison, je ressentais le besoin de repartir.

 

« Le voyage en Tasmanie était comme un saut dans le vide. Une façon de faire table rase, en me déplaçant à l’autre bout du monde, en me posant dans le hangar à bateau turquoise. »

 

Lors du dernier voyage en Tasmanie, libéré de toute contrainte, le personnage principal, George, change de sexe, nage vers l’Antarctique en quarante minutes, rêve d’anomalocaris en train de dévorer des trilobites, erre le long d’un territoire volé aux Aborigènes de Tasmanie, exterminés au XIXe siècle, s’identifie au naturaliste Charles-Alexandre Lesueur et pleure la mort de sa petite sœur dans un hangar à bateau turquoise. Sans doute dirait-on qu’il aurait pu tout imaginer depuis sa chambre, tel Xavier de Maistre. Il s’agit de cela aussi, bien sûr. Le livre en question s’est construit sur des strates géologiques, des recherches historiques longuement menées autour de l’expédition scientifique du commandant Nicolas Baudin en 1800, et des interrogations à propos de l’identité australienne et ses trous de mémoire. Le livre aurait pu s’intituler « Loin ». Pour cela, il fallait couvrir tous ces kilomètres, me retrouver à l’autre bout du monde sans aucune raison d’être là à part celle de l’écriture. Il fallait saisir cette liberté pour la construction d’un récit qui rassemble des éléments épars, déjà présents, travaillés, mais dangereusement disparates.

George se trouve à la porte de l’Australie. Il aborde l’Australie par les îles, pour tourner autour. Les îles autour de l’île-continent. Le passé qui entoure le présent. « Même si je sens ce pays en plein centre de moi », dit-il.

Grâce à ce voyage d’un mois en Tasmanie, le livre a pu basculer dans la fiction, trouver sa forme.

Je me souviens d’une rencontre à l’Alliance française de Hobart, une trentaine de Tasmaniens venus écouter un écrivain français parler d’un livre en train de s’écrire. Avais-je déjà le titre ? C’était une expérience étrange : moi, Australienne écrivant en français, parlant en français à un groupe d’Australiens d’un livre qui n’existait pas encore. J’ose espérer que le public en a tiré quelque bénéfice.

Le voyage en Tasmanie était comme un saut dans le vide. Une façon de faire table rase, en me déplaçant à l’autre bout du monde, en me posant dans le hangar à bateau turquoise.

Il me semble aussi que le fait de se voir attribuer une bourse renforce les différents aspects de l’expérience. Toute l’écriture de ce livre m’a paru périlleuse, pour arriver en fin de compte à un résultat apaisé. C’est comme un miracle. Ou une minuscule épiphanie.

Les livres de Emmelene Landon