Littérature française

Gautier Battistella

L’autre guerre des étoiles

L'entretien par Stanislas Rigot

Librairie Lamartine (Paris)

Construit autour du destin mythique d'un cuisinier qui se suicide, le nouveau roman de Gautier Battistella nous plonge dans les fournaises de la haute gastronomie française avec ses histoires, ses immortels, ses folies, au gré d'un récit tenant tout autant du roman policier que de l'hommage à ce métier hors normes.

Qu’est-ce qui a déclenché votre envie d’écrire sur l’univers de la cuisine ?

Gautier Battistella - En premier lieu, mon amour absolu pour la cuisine autant que ce qu’elle suppose : la patience, le goût, la douceur, les soirées d’été, une légère ivresse… Accorder un plat, c’est un peu comme accorder une phrase ou un instrument : on tâtonne, on cherche un équilibre. Ensuite, ma connaissance intime des chefs que je côtoie depuis plus de quinze ans, grâce à mon poste au Guide Michelin. Nombreux sont ceux avec lesquels j’ai tissé des liens d’amitié solides. Mon meilleur ami d’enfance, Fabrice Salvador, est devenu chef ! Enfin, j’ai toujours pris un immense plaisir à lire les grands récits de bouche de la littérature, au-dessus desquels trône le banquet introductif de Salammbô de Flaubert, dont le premier chapitre s’intitule précisément « Le festin ». Les soldats d’Hamilcar festoient dans les jardins de Megara lorsque surgit la sublime Salammbô. La chère comme prémices à la chair. La cuisine est un érotisme. Je n’ai pas pu résister d'y ajouter mon grain de sel.

 

Au cœur du livre, il y a Paul Renoir. Pouvez-vous nous le présenter ?

G. B. - Chef, son titre l’indique, est l’histoire d’un cuisinier. Mais pas de n’importe quel cuisinier. Paul Renoir a 62 ans. C’est un dieu vivant, l’un des chefs les plus célèbres au monde. Son restaurant Les Promesses, situé au-dessus d’Annecy, affiche 3 étoiles au Guide. Lorsque débute notre roman, il vient d’être élu « meilleur chef du monde » par ses pairs, la consécration ultime. Au chapitre suivant, il prend un fusil et se suicide. Dès lors, c’est lui qui va nous raconter son histoire, à la première personne du singulier au travers des rushs d’une émission qu’il tournait pour Netflix. Sa confession alterne avec le récit du restaurant après sa mort et le bal des prétendants. Le roi mort attise les convoitises et les complots.

 

Vous faites intervenir des personnages existants et le lecteur peut aussi imaginer que nombre des histoires saisissantes qui traversent votre roman sont vraies. Comment avez-vous navigué entre fiction et réalité ?

G. B. - Tout est vrai dans mon roman : les anecdotes, les profils, l’exigence, la folie, la grâce, même les recettes ! L’idée était de tisser une intrigue policière, ancrée dans une réalité que je connais intimement. À l’occasion d’un article au cœur des cuisines, j’avais même passé plusieurs jours incognito déguisé en commis. Les chefs célèbres que l’on croise, la mère Brazier, Bocuse, Bernard Pacaud ou Alain Ducasse ajoutent de la chair au récit et me permettent de déployer l’intrigue dans un univers que les lecteurs connaissent. C’est un jeu délicieux de tresser une histoire où l’imagination du romancier rencontre l’Histoire. Leurs échos sont troublants.

 

Les deux temporalités que vous employez, avec la vie de Paul Renoir et les conséquences de son geste, offrent un prisme très large sur ce monde de la cuisine : Chef relève-t-il du roman historique ?

G. B. – Chef est un roman historique autant qu’un thriller ou un plaidoyer pour la gastronomie française ! L’histoire de Chef parcourt cinquante ans de cuisine française. Paul a tout appris de sa grand-mère, une amie d’Eugénie Brazier, l’emblématique « mère lyonnaise » qui ouvrit un restaurant à une époque où les femmes n’avaient pas le droit d’avoir de chéquier ni le droit de vote ! Du point de vue de l’intrigue et de l’écriture, entrelacer les deux temporalités (l’une longue, le récit d’une vie), l’autre plus fugace (quelques mois) permet de doper le rythme du livre, de lui offrir son tempo particulier.

 

Chef serait donc aussi le premier thriller culinaire ?

G. B. – C’est en tout cas le premier roman consacré à l’univers des chefs et à l’histoire de la cuisine française, présenté sous forme d’un polar. Pour attirer ceux qui n’auraient pas été tentés par un roman sur la cuisine, il m’a paru nécessaire d’imaginer une intrigue haletante qui puisse satisfaire ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans un grand restaurant. Alors j’accepte avec joie cette dénomination de « thriller » qui, à mes yeux, n’a rien de péjoratif. De la même façon qu’il n’y a rien de plus délicieux qu’un beau pâté en croûte ! Tout ce que je souhaite, c’est de happer le lecteur et de lui donner faim !

 

À propos du livre
La cuisine n’a peut-être jamais été autant à l’honneur que ces dernières années. Paradoxalement la littérature s’est peu emparée de ce sujet. C’était sans compter sur Gautier Batistella qui, porté par sa passion pour les bonnes choses, confortée par son expérience de critique gastronomique au Guide Michelin, relève le défi. Le résultat est des plus addictifs car, entre la guerre de succession qui s’ouvre à la mort de Paul Renoir, les ombres de son passé qui ne vont pas tarder à remonter à la surface, l’immersion dans ce milieu où la brutalité se dispute à la quête de perfection, Chef ne laisse aucune place au temps mort. Le tout illustré d’anecdotes et de portraits parfois saignants !