Essais

Vincent Monadé

Le grand lecteur est une lectrice

L'entretien par Sarah Gastel

Librairie Terre des livres (Lyon)

S’évader du quotidien, vivre mille vies, acquérir des connaissances. Le livre est un compagnon de route indispensable. Et nous aimons toujours autant lire en 2017. Voire plus ! C’est ce que révèle la dernière étude du Centre national du livre, publiée en mars et intitulée « Les Français et la lecture ».

84 % des français se déclarent lecteurs. Seulement, le grand lecteur a un sexe. Comme l’explique Vincent Monadé, le président du CNL, le profil type est une lectrice de plus de quarante-cinq ans qui lit beaucoup. La non-mixité presque permanente lors des cercles de lecture en est un signe manifeste. Partant de ce constat, ce dernier vient de publier un petit guide facétieux et décalé, à l’usage des femmes qui souhaitent faire de l’homme de leur vie un homme « qui lit des livres, les comprend et les partage ». Avec humour, l’auteur égrène ainsi ruses de sioux et idées de lecture, issues pour la plupart de sa bibliothèque, pour convertir le mâle opiniâtre. Et ce, tout en décomplexant le lecteur : il n’existe pas de bons ou de mauvais livres, l’essentiel étant de lire. Nous sommes d’ailleurs tous des lecteurs en puissance, tel est le propos de cet essai déridant et consolateur qui célèbre aussi le pouvoir des livres qui nous accompagnent, nos « meilleurs amis, ceux qui survivront aux naufrages, aux ruptures, au temps ».

 

PAGE — Nous sommes un pays de lecteurs mais comment expliquer ce déséquilibre entre les hommes et les femmes ? Ne sommes-nous pas égaux devant la lecture ?
Vincent Monadé — Égaux ? Évidemment, non. Le poids des bibliothèques familiales est effarant. Selon toute probabilité, un enfant de parents lecteurs, élevé parmi les livres, lira. Et nous échouons à compenser cette inégalité, ce qui doit poser une vraie question sur nos politiques publiques de lecture. Pour ce qui concerne les hommes, les études font toutes le même constat. Les garçons ont tendance à décrocher de la lecture vers 13-14 ans, et on ne les récupère plus ensuite. Les hommes lisent, pourtant, mais plutôt la presse ou des écrits liés à leur travail. La lecture de fiction est plutôt féminine et les grands lecteurs sont des lectrices.

P. — Ces différentes pratiques ne résultent-elles pas de l’existence de livres différenciés, à savoir d’une stratégie éditoriale pour capter tel ou tel lectorat? Existe-t-il une littérature féminine et une littérature masculine ?
V. M. — Non, il n’existe pas de littérature féminine et de littérature masculine. Je me suis souvent battu contre l’idée qu’il y aurait des livres pour les femmes et des livres pour les hommes. Combien de fois, alors que je disais que je n’aimais pas tel ou tel bouquin, me suis-je vu répondre : « tu ne peux pas comprendre, c’est un livre pour les femmes. » Mais c’est parfaitement stupide comme remarque ! Il y a de bons et de mauvais livres, point. En revanche, l’édition est une industrie. Comme dans le cinéma, l’art y surgit par hasard. Donc, évidemment, il y a des stratégies marketing pour capter un électorat plutôt féminin ou plutôt masculin. Cela existe, bien entendu, et cela ne me choque pas.

P. — À l’heure des réseaux sociaux et du tout dématérialisé, comment transmettre le plaisir de la lecture aux enfants et adolescents, autre lectorat fragile ? Quelles sont les enjeux de cette transmission ?
V. M. — C’est la question qui m’obsède. Le CNL a tenté d’y répondre avec « Partir en livre », la grande fête de la littérature jeunesse, en installant nos événements au cœur de l’été, quand les enfants peuvent en profiter avec leurs parents et quand la lecture n’est plus associée à l’obligation scolaire. L’école apprend à lire, elle n’apprend pas à aimer lire. Nous avons réussi à créer quelque chose avec « Partir en livre », et j’en suis fier, mais nous avons échoué à conquérir, ou reconquérir, le public adolescent qui décroche vers 13-14 ans. Je n’ai pas de martingale ou de formule magique. Je crois, simplement, qu’il faut faire de la lecture une grande cause nationale, qu’il faut réinstaller les livres comme objet de l’évasion, du plaisir, du rêve. Et arrêter de culpabiliser les gens. Il ne faut pas lire à tout prix, ce n’est ni une injonction ni une obligation. Lire éclaire le monde, éveille, dépayse, protège. C’est une joie de la vie.

P. — Vous expliquez dans votre livre que la littérature de genre explose. Effectivement, longtemps considérés comme des genres mineurs par rapport à la littérature dite « blanche », le polar, la science-fiction et la bande dessinée ne broient pas du noir. En France, un livre vendu sur quatre est un roman policier. Comment expliquer cet engouement pour ces littératures ?
V. M. — Toutes les littératures expliquent le monde. Je n’oppose pas les genres tout simplement parce que cette classification par genre m’est étrangère, totalement. Je constate cette vitalité des genres, sans doute parce qu’ils racontent des histoires, qu’ils tentent d’embrasser le monde comme il est, ou comme il pourrait être, qu’ils proposent à leurs lecteurs un voyage. Un certain snobisme continue de prêcher que la littérature blanche est supérieure aux genres. Sauf que Stephen King est un des plus grands écrivains vivants, que Cormac McCarthy se rit des classifications pour écrire des westerns ou de la science-fiction, que Jean Echenoz joue avec les codes du polar… Bref, les écrivains s’en fichent et les lecteurs aussi. L’engouement n’est pas pour les genres, mais plutôt pour une littérature de l’imaginaire qui peut être aussi bien celle d’une femme détruite par la trahison le soir de ses fiançailles que celle d’un pistolero voyageant entre les mondes pour préserver une rose.

P. — Accepteriez-vous de nous donner un conseil de lecture pour l’été ?
V. M. — La Dent du serpent, de Craig Johnson (Gallmeister), et tous les romans qui mettent en scène Longmire, le shérif du Wyoming, et son copain indien qu’il surnomme « La nation cheyenne ». Du polar de grands espaces, dépaysant et drôle.