Littérature française

Valentine Goby

Banquises

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Chronique de Marie Michaud

Librairie Gibert Joseph (Poitiers)

Dans le nouveau roman de Valentine Goby, le Groenland est à la fois décor et symbole, lieu d’espoir et de détresse absolue, un autre monde duquel Lisa espère ramener sa sœur disparue depuis plus de vingt ans, 
ou au moins une réponse à ce mystère qui a phagocyté l’existence de sa famille.

Mai 1982. Lisa, 14 ans, accompagne sa sœur Sarah, 22 ans, à l’aéroport de Roissy. Cette dernière a l’habitude de voyager. Passionnée de musique, elle a parcouru le monde de salle de concert en auditorium avec son amie Diane, jusqu’à ce que celle-ci succombe brutalement à une grave maladie. Depuis, Sarah a sombré. Ce nouveau voyage au Groenland, si différent des précédents, aurait pu être le signe d’un renouveau dans la vie de la jeune femme, mais Sarah n’est jamais revenue. Elle a disparu. Accident ? Enlèvement ? Fugue ? Suicide ? Autant d’hypothèses restées en suspens, ne laissant à la famille que l’absence et l’attente, la souffrance et l’espoir stérile. Vingt-sept années plus tard, Lisa se rend de nouveau à l’aéroport. Elle a la quarantaine, un mari, des enfants, une carrière d’écrivain… Elle part pour le Groenland mettre ses pas dans ceux de sa sœur, pour voir ce qu’elle a vu, pour peut-être comprendre ce qui s’est passé. Ce qui a réveillé ce besoin, c’est la nécessité d’une démarche administrative que ses parents avaient refusée jusqu’alors : déclarer officiellement que Sarah est morte. « Morte. Tant d’efforts pour se délivrer de ton absence, Sarah. Pour contourner le trou de toi. Tu avais disparu c’est Lisa qui s’est effacée, peu à peu reléguée aux marges de ton vide dévorant. » Ainsi, après des années à exister, à construire une vie par et pour elle-même, Lisa doit à nouveau se confronter à sa sœur, à l’absence de sa sœur, et cela dans un environnement extrêmement particulier : le Groenland. Les jours passés à Uummannaq, petite ville perdue au milieu du Grand Nord, font découvrir à Lisa un lieu étrange, très différent des brochures touristiques et des images d’Épinal, où le réchauffement climatique est une réalité qui sent l’urine, le sang et le poisson pourri, et où les hommes n’ont pas beaucoup d’autres alternatives que l’exil, le suicide ou l’extinction à petit feu. Car une banquise moins épaisse empêche la chasse au phoque et une eau moins froide anéantit quasiment la pêche : les quotas internationaux ruinant les dernières chances de ceux qui, afin de survivre, ne savent ni ne peuvent rien faire d’autre que pratiquer ces activités ancestrales.


Valentine Goby évoque dans Banquises la vie d’une famille confrontée à un drame, les moyens mis en œuvre par chacun de ses membres pour vivre avec l’absente et pour la faire vivre en eux, la souffrance côte à côte, indicible et étouffante, l’absurdité bienveillante d’autrui incitant à faire son deuil et à continuer une vie irrémédiablement bouleversée. Elle raconte également le désespoir d’une communauté humaine à l’autre bout du monde qui voit son mode de vie disparaître. Finalement, dans le roman comme dans la vie, il semble que seule l’écriture parvienne à faire exister certaines réalités au-delà du temps, de l’absence et de la mort. Valentine Goby nous offre à nouveau un véritable concentré d’émotions au cœur de ce qui agite l’humanité, individuellement et collectivement.

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