Littérature française

Christian Astolfi

De notre monde emporté

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Chronique de Nicolas Mouton

Librairie Presse papier (Argenteuil)

Le bruit du monde, la nouvelle maison d’édition marseillaise créée par Marie-Pierre Gracedieu et Adrien Servières, a fait paraître depuis janvier trois excellents romans. Le versant français s’ouvre avec Christian Astolfi dont la plume fraternelle et poétique nous restitue les espoirs et les désillusions d’une vie d’homme et d’une classe ouvrière peu à peu sacrifiée, dérivant « de la gloire à l’oubli ».

Les lecteurs du premier roman de Christian Astolfi, Les Tambours de pierre (2007), retrouveront certains de ses thèmes dans De notre monde emporté : le père ouvrier sur les chantiers navals, la maladie de l’amiante, un photographe… Mais c’est un tout autre texte qu’il donne aujourd’hui, une œuvre bouleversante et aboutie, qui charrie dans ses pages la chanson désanchantée d’une génération. Le narrateur est un jeune homme qui commence à travailler au début des années 1970 aux chantiers de La Seyne-sur-Mer et que nous suivons jusqu’au début des années 1990. C’est à la fois un destin individuel, l’histoire de l’attachement à un lieu, et à des hommes fiers de leur richesse manuelle et symbolique : construire et transmettre. « Une génération à laquelle nos pères avaient enseigné le goût du travail bien fait et la croyance en une récompense qui viendrait nécessairement de l’effort. » La confiance en ces grands poissons d’acier qu’ils préparent pour la mer va vite rencontrer la crise et la fin des chantiers, comme la découverte stupéfiante que leur santé a été sciemment sacrifiée sur l’autel du profit… Ce sera leur ultime combat : « La dignité, c’est la seule chose qu’on ne doit jamais leur céder. » Mais ce qui porte avant tout ce maître-livre, c’est la jeunesse, avec ses grandeurs puis sa nostalgie. Une longue et belle histoire d’amour aux temps où l’on pleurait les poètes assassinés, où grisée par l’arrivée de la gauche au pouvoir, une fille écrivait les paroles d’une chanson de Barbara sur les murs de la chambre. La saison des livres et des disques. Et même si avec le temps le cœur des hommes est pareil aux épaves du port, si la ville change de visage et que l’on devient son propre musée, une autre aventure se lève : l’écriture, avec sa mémoire et ses soleils. « Il fait grand beau, le ciel chemisé de bleu, le vent en sommeil. » Avec ce magnifique roman qui porte toute l’expérience d’une vie, Christian Astolfi préserve tout un monde d’être englouti, à la force des phrases. Le père emporté retrouve une voix, les camarades étouffés par l’amiante les refrains de la fraternité. C’est fort, c’est noble et l’on en sort le cœur plus grand.