Bande dessinée

Miles Hyman, d'après Shirley Jackson

La Loterie

illustration

Chronique de Marianne Kmiecik

Librairie Les Lisières (Villeneuve-d'Ascq)

Après avoir brillamment adapté Le Dahlia noir en bande dessinée (Casterman), Miles Hyman récidive avec cette adaptation d’un autre classique de la littérature américaine. « La Loterie » est une nouvelle de Shirley Jackson, écrivaine et nouvelliste adepte des récits fantastiques ou d’horreur. Cauchemar assuré !

Comme chaque année à la date du 27 juin, voici venue l’heure de la grande loterie ! Dans ce village de 300 âmes, au cœur des États-Unis des années 1950, les habitants cessent leurs activités et se rassemblent pour participer à l’événement. Les hommes ne prennent pas le temps de terminer leurs travaux, les ménagères abandonnent leur maison, les enfants laissent leurs jeux ; tous sentent monter en eux un sentiment étrange, mêlant impatience et appréhension… Personne ne sait vraiment quand a été créé le rituel, certains croient se souvenir d’un poème, d’autres se rappellent un salut particulier, mais tous acceptent le tirage : « Loterie en juin, abondance de grain ». Dans cette bourgade, la loterie ne prend que deux heures, alors que dans les plus grandes villes, elle se déroule au long de plusieurs jours. D’abord les hommes, chefs de famille, piochent dans l’urne, puis la famille gagnante envoie chacun de ses membres plonger le bras dans la vieille boîte de bois. L’attente fait monter les tensions, l’atmosphère si singulière devient étrange, pesante… Cette année-là, Tessie Hutchinson profite tranquillement de sa matinée, jouissant de sa solitude. Ce n’est qu’une fois la vaisselle terminée qu’elle regarde par la fenêtre de la cuisine et s’aperçoit que la rue est complètement déserte. Posant le regard sur le calendrier, elle comprend soudain et se hâte de rejoindre les habitants de la ville. Qui remportera le gros lot cette année ? Qui tirera le seul papier blanc orné d’un point noir ? Et pourquoi les enfants ramassent-ils des pierres en chemin ? Pourquoi les adultes parlent-ils de « risque » ? Les dessins de Miles Hyman, détaillés et lumineux, dignes de fresques ou de tableaux, nous transportent dans cet univers à la fois paisible et inquiétant. Le découpage et la juxtaposition des images produisent une ambiance dérangeante. Fièvre du jeu, goût du risque, pressentiment, crainte du résultat, folie du verdict. Miles Hyman parvient à merveille à saisir les expressions de chaque personnage, variant les angles de vue, jouant sur la construction des images et l’organisation des pages, utilisant les effets d’ombre et de lumière à la perfection. Il envoûte le lecteur dès la première case, le tient en haleine tout au long de l’histoire, ne lui donnant que quelques indices au fil de la lecture. Il le laisse surtout abasourdi face au dénouement stupéfiant de ce terrible récit. Il ne fait aucun doute qu’une fois la lecture terminée, vous aurez envie d’en savoir plus sur cette nouvelle étrange, d’une originalité glaçante à l’issue cauchemardesque. Son auteure, Shirley Jackson, est considérée comme une nouvelliste hors pair, maîtrisant à la perfection la construction de ses textes et cet art de la chute si précieux dans la forme courte. La Loterie est sans aucun doute une histoire perturbante, qui changera à jamais votre façon de voir les tombolas.

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