Littérature étrangère

Maaza Mengiste

Le Roi fantôme

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Chronique de Sarah Gastel

Librairie Terre des livres (Lyon)

Flamboyante fresque des mémoires et des guerres intimes, Le Roi fantôme éclaire un pan méconnu de l’Histoire de l’Éthiopie et explore de manière captivante ce que signifie être une femme en (temps de) guerre.

Le 3 octobre 1935, les troupes mussoliniennes pénètrent en Éthiopie sur les terres de l’empereur Hailé Sélassié. Alors que les journaux, les caméras et les photographies témoignent de la force italienne, la résistance s’organise pour préserver l’indépendance du pays. Face à cette propagande soutenant la conquête, Maaza Mengiste fait émerger le récit de cette révolte héroïque dans une splendide épopée aux accents homériques qu’elle fertilise d’une indéniable modernité en montrant que la guerre a aussi un visage de femme. L’écrivaine, puisant dans l’histoire de son arrière-grand-mère, campe le personnage d’Hirut, jeune servante orpheline qui prend les armes contre les Italiens aux côtés de Kidane, chef de guerre tribal. Usant de longues focales ou de plans rapprochés très incarnés dans une langue qui regorge de vie et de beauté pour croquer le portrait inoubliable de son héroïne, Maaza Mengiste signe un roman magique où la vérité des êtres ordinaires surgit à chaque page. Au sein d’une trame puissante entremêlant scènes de batailles et intermèdes plus intimes, les personnages traversent toutes les nuances des ombres à la recherche de la lumière. L’on croise ainsi Aster, qui revêt la cape de guerrier de son mari et appelle les femmes au combat, le colonel fasciste Carlo Fucelli qui mène la campagne et Ettore Navarra, un photographe d’origine juive chargé d’immortaliser la conquête italienne. Avec ce roman d’un pays aux prises avec son destin, le lecteur est projeté dans la seconde guerre italo-éthiopienne et ses réécritures, ainsi que sur le chemin d'une jeune femme qui aspire à être bien plus que ce que le monde voit en elle. En faisant de cette guerrière « plus qu’un objet pris au piège du regard », Maaza Mengiste livre une formidable geste sur les grandes oubliées de l’Histoire.

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