Littérature française

Zahia Rahmani

« Musulman » roman

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Chronique de Sarah Gastel

Librairie Terre des livres (Lyon)

« Je me suis mise à haïr toutes ces marques d’identités qui s’accrochaient à moi comme le chiendent à la terre. Arabes, immigrés, exilés, musulmans, je nous voyais maintenus dans un univers infect où même la plus misérable des vies se devait quand même d’être satisfaite de sa condition. »

Alors que la récente polémique autour du fichage d’élèves musulmans sur la base de leur nom et la recrudescence d’actes islamophobes font ressurgir le fantôme des amalgames et de l’existence d’un islam imaginaire incarné par des musulmans présumés, « Musulman » roman résonne avec l’actualité bouillonnante. Dans ce brûlot visionnaire, dont la première édition date de 2005, Zahia Rahmani raconte, à travers son héroïne, comment « elle est devenue “Musulman” ». Prisonnière dans un camp du fait de ses origines arabes, la narratrice voit ses souvenirs refluer et interroge son identité. Fille de harki, la jeune femme, raconte la fuite d’Algérie, la solitude de l’enfant déraciné, l’abandon de la langue maternelle, le berbère, une « langue de contes » et l’apprentissage du français sur les traces du Petit Poucet. En grandissant, Elohim, car c’est son nom, expérimentera l’aliénation que provoque le fait de dénier à une personne née dans une culture, a fortiori musulmane, le droit d’être autre chose. « Je sais qu’on se soucie de nous. Mais du sentiment que, nous, nous avons de nous qui s’en soucie ? », apostrophe-t-elle. Cataloguée « Arabe » donc « Musulman » par les émules de l’ignorance et les nations qui fabriquent, dénoncent et effacent la diversité pour la parquer dans le camp des ennemis, vénérant un Dieu commun, au nom du principe de guerre, elle se retire à la campagne, se déclare apatride et se réfugie dans l’étude. Mais là encore les bouleversements du 11 septembre la rattrapent. Revendicatif, puissant et généreux, à mi-chemin entre prose et poésie, réflexion politique et philosophique, « Musulman » roman interroge les rapports entre langue et identité, ainsi que la construction de la figure du paria. Un recueil essentiel qui aide à penser le monde d’aujourd’hui.

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