Littérature française

Gabrielle Filteau-Chiba

Sauvagines

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Chronique de Marie Michaud

Librairie Gibert Joseph (Poitiers)

Kamouraska, province québécoise entre le Saint-Laurent et la frontière américaine. Espace sauvage à la beauté prodigieuse où la nature et les hommes doivent coexister depuis des siècles. Plus qu’un décor, le cœur battant des romans à la fois contemplatifs et profondément engagés de Gabrielle Filteau-Chiba.

Après Encabanée (qui vient de sortir en poche chez Folio), Gabrielle Filteau-Chiba nous entraîne de nouveau dans les pas d’une femme forte aux convictions chevillées au corps, autant que cette région dont elle est devenue la gardienne. En effet, Raphaëlle est agent de protection de la faune. Si, au quotidien, l’essentiel de sa mission est celle de garde-chasse avec le contrôle des permis et des prises des nombreux chasseurs du secteur, elle s’est engagée avec une volonté plus grande de protection de l’habitat et des espèces menacées. Mais, confrontée à l’inaction, à l’indifférence et à l’appât du gain, l’espoir perd peu à peu du terrain. Installée dans une roulotte au milieu de la forêt, vivant seule, Raphaëlle adopte un chien husky et choisit une petite femelle probablement métissée de coyote. D’ailleurs, tel sera son nom. Peu après, alors qu’elles se sont instantanément adoptées l'une l'autre, Coyote est prise dans le collet d’un braconnier et sauvée de justesse. Mais, à partir de cet instant, autant pour sa chienne que pour tous les animaux piégés et tués sans scrupules ni nécessité, la jeune femme va tenter de retrouver le braconnier. D’autant qu’elle ne tarde pas à trouver des traces qui montrent qu’elle est peut-être devenue sa cible. S’engage alors un bras de fer, à la fois intime et symbolique, pour sauver sa vie et pour le respect des animaux sauvages qu’elle a tant à cœur de protéger. Aidée par son ami Lionel, lui-même ancien garde-chasse, puis par une jeune femme dont elle a récupéré le journal intime au gré de son enquête, Raphaëlle comprend que tous les moyens seront bons et tous les coups permis pour prendre le braconnier à son propre piège. Mais ce ne sera pas sans danger ni conséquences. Avec Sauvagines, le deuxième volet du triptyque romanesque de Gabrielle Filteau-Chiba dans les forêts luxuriantes du Kamouraska, le temps est à la lutte et l’atmosphère digne des meilleurs romans noirs. S’il s’agit d’un combat à mort, la douceur est pourtant présente dans ce livre pour qui se donne la peine de voir derrière les apparences. Ancrée dans cette nature sauvage, héritière de la revanche muette de son aïeule dépossédée d’elle-même, militante de la préservation des animaux et des écosystèmes méprisés par le profit et la modernité, Raphaëlle nous ouvre des champs de réflexion essentiels sur la vie, l’avenir et la nature. Une fois le livre refermé, resteront des images de forêts et de rivières, des sensations de vent, d’écorce et de peaux mais aussi une intense impression de vie et la conviction d’une appartenance à un grand Tout que chacun a le devoir de préserver.

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