Littérature française

Michela Murgia

Accabadora

illustration

Chronique de Jean-François Delapré

Librairie Saint-Christophe (Lesneven)

Prix PAGE des libraires 2011

Qui es-tu vraiment Maria Listru ? Es-tu la fille d’Anna Teresa ou celle de Tzia Bonaria, celle qui a recueilli l’enfant que tu étais afin que tu deviennes cette fille de l’âme, cette fille non engendrée, cette fille donnée, née pour être donnée et donnée pour engendrer… ? Ici, dans cette Sardaigne pauvre des années 1950, tout est don, et ta mère d’âme n’aura de cesse de te donner le goût de l’effort, le goût de découvrir, le goût de ne surtout pas t’enterrer sur cette terre sèche, cette terre ou aucune salive n’accroche, cette terre où les mots sont aussi rares que les démonstrations d’amour. Maria va grandir entre ses deux familles. Maria va aimer celui qu’il ne fallait pas aimer. Quand Nicola enfreindra la loi non écrite du village, celle qui se règle à coups de fusil, il sera puni dans sa chair, cette chair qui bientôt pourrira. Et c’est ainsi que Maria comprendra pourquoi Tzia Bonaria part parfois, dans la nuit, seule avec son châle. Peut-on aller cueillir l’âme d’un mourant et ne pas en revenir transformée ?

 

Toute l’écriture de Michela Murgia se niche entre les ravines du village et les racines de Tzia Bonaria, cette « Accabadora » qui se rend dans les chambres des mourants afin de les accompagner et de les délester du fardeau de la vie. Ici, il n’est question que de transmission, celle de la vie et de la mort. C’est un livre âpre et piquant comme un bouquet d’aubépines, un roman de soleil brûlant et de nuits noires comme les robes des veuves sardes, quand les mots ne disent plus rien et se confondent avec les prières, quand seule la porte fermée par l’Accabadora résonne encore et encore. Maria sera comme Tzia Bonaria : couturière des tissus et des âmes qu’elle raccommodera comme le faisait sa mère d’adoption. Elle sera partie, puis revenue dans les pas de son pays et de cette terre qui s’accroche à ses sabots. Qui  peut échapper  à son destin ?

 

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