Littérature étrangère

Nick Hornby

Juliet, naked

illustration
photo libraire

Chronique de Béatrice Leroux

Librairie Les Traversées (Paris)

P. D. James, 92 ans, grande admiratrice de Jane Austen dont elle relit
 au moins une fois par an les œuvres 
complètes, a eu la bonne idée 
d’inventer, avec La Mort s’invite à 
Pemberley, une suite policière au roman mythique Orgueil et préjugés. 


Que ceux et celles qui n’auraient pas lu le roman de Jane Austen se rassurent ; dans son prologue, P. D. James nous résume brièvement comment Elizabeth Bennet et Darcy, maître de Pemberley dans le Derbyshire, ont fini par se marier à la fin d’Orgueil et préjugés. Nous les retrouvons donc là, six ans après, nageant en plein bonheur conjugal, heureux parents de deux jeunes garçons, à la veille du grand bal de Lady Anne donné au domaine, comme tous les automnes depuis des décennies, et très couru par tous les notables de la région. Mais ce soir-là, au moment où les maîtres et leurs invités s’apprêtent à monter se coucher, leur existence est bouleversée par l’arrivée intempestive de la diligence de Lydia, sœur d’Elizabeth non conviée au bal. Cette dernière en descend hystérique, hurlant que son mari est sûrement mort dans le bois de Pemberley, assassiné par son meilleur ami le capitaine Denny. Arrivés sur les lieux plus tard dans la nuit, les protagonistes s’aperçoivent qu’en réalité, c’est Denny qui est mort et que Wickham, le beau-frère, est là, bien vivant mais ivre, blessé, couvert d’éclaboussures de sang et répétant sans cesse : « Il est mort ! Oh, mon Dieu, Denny est mort ! C’était mon seul ami, et je l’ai tué ! Je l’ai tué. C’est ma faute. » Le coupable connu dès les premières pages, voilà une évidence beaucoup trop simple pour P. D. James ! L’enquête sur le meurtre dont s’accuse ce beau-frère détesté et interdit de séjour au domaine de Pemberley ne sera pas confiée au magistrat Darcy, mais à un de ses confrères, le crime ayant eu lieu sur ses terres. D’autant qu’il est de notoriété publique que les deux hommes sont en conflit. En attendant le procès prévu au printemps, où il décidera de plaider non coupable, George Wickham est transféré à Londres. Au tribunal, parmi le public, réapparaît une certaine Mrs Younge qui semble très émue à la vue de l’accusé. Quelle place tient-elle ou a-t-elle tenue dans sa vie ? Et puis il y a cette lettre qui arrive au bon moment. La vraie histoire familiale de Wickham et ses zones d’ombre éclatent au grand jour et, bien sûr, le lecteur va aller de surprise en surprise… Avec délectation !


La baronne P. D. James, anoblie par la reine Elizabeth en 1990, n’écrit jamais des romans très violents. Elle passe beaucoup de temps à décrire l’environnement et la psychologie des personnages, une démarche qu’elle mène avec toute la maîtrise de son art. À ce jour, plus de soixante-dix suites, plus ou moins sérieuses, ont été données à Orgueil et préjugés. Celle de P. D. James ne trahit en rien le monde romanesque de Jane Austen : elle conserve l’ambiance qui caractérisait le Pemberley inventé par celle-ci, le style de conversations de l’époque, en particulier le côté très feutré et respectueux qui détermine les relations entre époux au sein de l’élite. Enfin, il ne fait aucun doute qu’une fois la lecture de La Mort s’invite à Pemberley terminée, vous n’aurez qu’une envie… lire ou relire Orgueil et préjugés, puis, pourquoi pas, toute l’œuvre de Jane Austen, comme P. D. James le fait inlassablement.